25 août: Banyuls – Fontaine de la Massana
L'aube à peine naissante, Marcel et moi quittons le camping de Banyuls, déterminés mais quand même quelque peu circonspects sur les difficultés qui nous attendent dans cette traversée. La ville rapidement dépassée, c'est par un chemin facile au milieu des vignes et des chênes-liège que nous débutons notre grimpette. Je pressentais que cette toute première heure serait longue et pénible, nos sacs chargés, la dénivellation, tout l'inconnu devant nous... Des entrées maritimes accrochent les sommets des Albères et l'air moite est saturé d'humidité, Au bout d'un quart d'heure je suis trempé malgré l'allure d'escargot que je me suis imposé. L'eau claire de la fontaine des chasseurs est la bienvenue pour se rafraîchir et compléter les bouteilles. Quelques réglages du sac et il faut repartir en évitant de penser qu'il est bien lourd et qu'il meurtrit les épaules. Quelques coups d'œil sur l'altimètre permettent de se donner du courage; 400, 500, 600 ….mètres, puis le premier sommet, le pic Sailfort à presque 1000 mètres est bientôt en vue qui offrira un bel emplacement de pique nique. Les brumes s'enroulent autour des roches déchiquetées de la crête et, maintenant, l'air est presque frais. Requinqué après la pause je repars pour parcourir la vaste crête balisée de bornes numérotées en pierre matérialisant la frontière. Nous avions décidé de nous « roder » sur des premières étapes courtes et quand le sentier passe à proximité de la fontaine de la Massana nous cherchons un emplacement adapté pour le bivouac: un douillet replat herbeux dans une clairière bordée d''un maigre ruisseau fera notre bonheur. Montage de la tente, organisation du rangement du contenu du sac, toilette, courte sieste réparatrice occuperont donc facilement la fin de l'après-midi.
26 août: Fontaine de la Massana – saint Martin de l'Albère
C'est en excellente forme, toutes traces de fatigue de la veille effacées, que je me réveille. La brume dessine des figures fantomatiques dans la forêt avant que le soleil ne perce. Le claquement du vent sur la tente et le frissonnement des arbres ont ponctué mon sommeil, à peine troublé par l’ululement d'une chouette. Je repars donc rasséréné sur le sentier qui monte tranquillement vers la crête dentelée sur laquelle les brumes s'effilochent. Un long cheminement de niveau entre forêts et prairies permet d'atteindre le pied du pic Neulos. Devant nous 200 mètres de pente raide, premier véritable test d'aptitude de cette traversée. Je démarre très lentement et petit à petit je prends confiance: malgré la lourdeur du sac je débouche au sommet sans être essoufflé et pressens qu'à ce rythme lent je pourrai franchir les dénivellations plus importantes qui m'attendent. Le sentier descend ensuite gaillardement au milieu de prairies avant de plonger dans une forêt de pins. Arrivés en début d'après midi à Saint Martin d'Albère nous discutons avec un sympathique habitant qui nous propose d'installer notre bivouac au bord de son chemin près d'une fontaine. Nous nous installons donc tranquillement alors que les cumulus enflent rapidement et c'est bien à l'abri de notre tente que nous attendrons la fin de l'orage.
27 août: saint Martin de l'Albère – Las Illas
C'est aujourd'hui, une étape de liaison qui présente peu de points d'intérêt et qui se déroule exclusivement sur de longues pistes et de petites routes au milieu de zones forestières. Je redoute un peu cette journée qui risque d'être fort monotone, d'autant plus que nous devons redescendre à basse altitude vers le col du Perthus et que la chaleur risque d'être éprouvante. Heureusement, une légère tramontane vient tempérer les ardeurs du soleil et la perspective de prochaines étapes plus attrayantes m'aide à « avaler » les heures de marche sans lassitude.
Pourquoi donc s'engager dans une telle « aventure » de plus de 40 jours et quitter sa famille et son confort quotidien ? Certains comprendraient mal pourquoi on corse l'affaire en s'y engageant en autonomie avec le poids de la tente, du matelas, du duvet, du réchaud... et des vivres pour 5 à 6 jours. Peut être pour tenir le défi de propos prononcés rapidement un jour d'euphorie: « et si on faisait la HRP ! ». Sans doute, aussi, pour mesurer ses limites, vérifier qu'on est capable d'atteindre un objectif fixé en toute liberté. Mais, plus certainement, pour « voyager » réellement, vagabonder sans autre contrainte que les besoins élémentaires de la vie, échanger avec les personnes rencontrées sans avoir l'œil rivé sur une horloge, être immergé dans la nature et la voir se transformer au jour le jour, découvrir l'évolution progressive des paysages au pas lent du marcheur, être fasciné par le soleil qui réapparaît chaque jour et les couleurs changeantes du ciel.... A l'arrivée à Las Illas nous découvrons avec bonheur une aire aménagée et engazonnée qui fera un confortable site pour installer notre bivouac
28 août: Las Illas – Amélie les Bains
La vie « à bord » de l'espace réduit de la tente s'organise et chaque matin un ordre immuable, quasi-militaire, s'instaure naturellement pour ranger le sac et plier la tente ce qui nous permet, à Marcel et moi, d'être bien synchronisés pour le départ. C'est par un agréable cheminement en forêt en louvoyant de part et d'autre de la frontière que nous atteignons le roc de France, belvédère rocheux au vaste panorama avec, en face de nous, l'imposant massif du Canigou qui sera le but des prochains jours. La suite de l'étape me confirme une des difficultés pressenties de cette traversée: les longues descentes qui éprouvent les genoux, les chevilles et le dos. Heureusement, nous ne sommes pas pressés et c'est avec beaucoup de précautions que nous abordons le raide sentier qui dévale vers Amélie les Bains.
29 août: Amélie les Bains – gîte de Batère
Au réveil, je constate avec soulagement que toutes les traces de la longue descente de la veille ont disparu durant la nuit. Voilà qui est de bon augure pour la suite de notre périple: repartir chaque jour sans accumulation de fatigue est indispensable pour tenir la distance, d'autant que de rudes journées nous attendent. En partant de 220 mètres pour atteindre le sommet du Canigou à 2784 mètres, nous rentrons dans le vif du sujet ! Le départ est tardif car nous devons attendre l'ouverture des magasins. Avec le sac rempli pour 6 jours d'autonomie et la chaleur pesante il s'agit donc de ne pas se hâter sur le raide sentier qui escalade les pentes abruptes dominant Amélie. La suite de l'étape se déroule sur de longues pistes qui n'offrent pas de panorama très dégagé jusqu'à la tour de Batère. Au-delà, la perspective s'ouvre et le Canigou apparaît, malheureusement englouti par les nuages en cette fin d'après midi.
30 août: gîte de Batère – les Cortalets
Au petit matin, le cheminement vers le col de la Cirère, au milieu des prairies, est particulièrement agréable avec une large vue sur le Roussillon. Je découvre ensuite une autre dimension de cette traversée qui m'avait un peu échappée à l'examen du topo-
guide et des cartes: pour progresser d'est en ouest il ne suffit pas de gravir des cols et des sommets puis d'en redescendre, il faut également parcourir de longs sentiers horizontaux, ou presque, pour contourner les nombreux et parfois profonds vallonnements qui entaillent les massifs montagneux, C'est particulièrement vrai autour du Canigou où nous naviguons sur d'interminables sentiers balcons sans grande variété. Heureusement, l'itinéraire gravit ensuite une crête redressée puis contourne quelques escarpements rocheux offrant un vaste panorama sur le massif du Canigou.
31 août: les Cortalets – Mariailles
Ce matin, je vis un de ces moments privilégiés que procurent les bivouacs en altitude. Alors que le soleil inonde généreusement de ses rayons le sommet du Canigou, une mer de nuages s'étale à nos pieds. C'est un spectacle dont je ne me lasse jamais. L'ascension du Canigou, sommet emblématique de la Catalogne est presque une formalité sur un large sentier bien tracé au milieu des rhododendrons puis des pierriers. Du sommet le panorama est exceptionnel. Pour descendre, il faut emprunter un raide couloir de gradins rocheux sans difficulté mais dont la hauteur est suffisante pour que l'impression de vide soit palpable. Je m'y engage donc avec précaution, attentif, les muscles tendus pour éviter d'être déséquilibré par le poids du sac. Puis, petit à petit, la confiance s'installe et je prends un grand plaisir à cette désescalade d'une bonne centaine de mètres. La pente s'apaise ensuite et le sentier, parfois bien caillouteux, serpente dans une zone d'alpages puis contourne quelques inévitables vallons avant d'atteindre Mariailles. Le temps menaçant nous incite à nous installer dans la maison forestière et la fin de la journée confirmera nos craintes par quelques belles averses.
1er septembre: Mariailles – Mantet
Au cours d'une randonnée de cette durée il est inévitable de composer avec les conditions météorologiques. La pluie dans la soirée d'hier, le pessimisme du gardien du gîte voisin et les nuages d'altitude qui zèbrent le ciel matinal nous incitent à modifier notre itinéraire pour éviter les hauts plateaux où l'orientation serait très délicate par temps de brouillard. Nous redescendons donc vers la vallée, ce qui nous permet de découvrir les villages de Py et de Mantet aux solides maisons de pierre confortablement blottis sur des pentes ensoleillées de part et d'autre du col de Mantet. Nos réserves de vivres étant limitées nous décidons de passer la nuit au gîte « chez Cazenave » où nous retrouvons 2 autres comparses randonneurs qui parcourent aussi la HRP et sont partis de Banyuls le même jour que nous. Magie des rencontres... Ce sera l'occasion d'une fort sympathique soirée animée par nos hôtes Angéline et Richard qui nous racontent avec verve l'histoire de leur famille et du vignoble catalan.
2 septembre: Mantet – col de Tirapitz
Je partage avec Marcel le goût des départs matinaux. C'est généralement le matin que je me sens au mieux de ma forme et je reste toujours fasciné comme un enfant par ces premiers rayons de soleil qui embrasent les hauts sommets avant de venir progressivement caresser les flancs des vallées. Dans un périple comme celui-ci c'est également un moyen d'arriver assez tôt à l'étape afin de profiter calmement de la fin de la journée et, aussi, souvent, d'éviter les orages. C'est donc dès l'aube, qu'aujourd'hui encore, nous remontons d'un pas régulier et lent le long vallon qui mène à la porteille de Mantet. C'est un vrai plaisir de sentir, qu'une fois les muscles échauffés, la progression s'effectue avec un effort minimal et de parcourir le chemin sans autre préoccupation que d'observer le paysage. Arrivés en début d'après midi au refuge d'Ull de Ter nous nous sentons en bonne forme, il fait beau et nous décidons de continuer plus loin: ce sera du temps de gagné pour l'étape du lendemain qui s'annonce longue. C'est donc d'un pas tranquille que je m'engage pour 500 mètres de dénivellation supplémentaire. La perspective d'une belle nuit en haute altitude me motive et c'est sans peine que j'arrive à l'orry blotti dans la pente sous le col de Tirapitz à l'abri du vent qui balaye les crêtes. Pour y pénétrer il faut ramper dans un étroit tunnel et il fait un noir d'encre à l'intérieur. Mon premier réflexe de claustrophobe incurable est de ressortir de ce « trou à rat » et de chercher un emplacement pour ma tente. Mais le terrain est tellement pentu que la partie est perdue et, en outre, à 2700 mètres la température risque d'être très fraîche... Je me fais violence, allume ma lampe frontale pour examiner l'intérieur qui, avec un peu de lumière, prend une apparence plus accueillante. Finalement, une fois bien installé, je finis par trouver cet abri relativement confortable d'autant plus que le vent souffle dehors avec violence. Dans la soirée une souris grassouillette tente de flairer nos provisions et bien vite nous installons une étagère de fortune inaccessible. Sa curiosité la poussera quand même à tenter de visiter nos sacs à plusieurs reprises durant la nuit.
3 septembre: col de Tirapitz – Eyne
Nous quittons notre abri sommaire au lever du jour pour un long parcours de crêtes. Les brumes et les rafales de vent ont rafraîchi la température et, pour la première fois depuis Banyuls, je sors gants et cagoule. Des hardes d'isards gambadent joyeusement dans les pentes herbeuses. Le décor est grandiose, les éclairages changeant à chaque instant sous l'effet des brumes balayées par le vent. Mais, au sommet du Noufonts, les bourrasques de vent rabattent les nuages qui nous cachent brutalement toute visibilité. Une lecture un peu rapide de la boussole, un examen sommaire de la carte qui s'obstine à se replier sous le vent, le sac lourd qui nous presse d'avancer et nous voilà partis dans la mauvaise direction. Quelques cairns, des traces de passage nous incitent à descendre jusqu'à ce qu'une éclaircie opportune nous fasse comprendre notre erreur. Il ne reste plus qu'à remonter péniblement au sommet pour reprendre la bonne direction, à nouveau évidente car, entretemps, le ciel s'est dégagé. Arrivés au col de Nuria nous bifurquons dans la vallée d'Eyne pour une longue descente au milieu des prairies où paissent vaches et chevaux. Dans le village nous apprenons avec désespoir qu'il n'y a pas de ravitaillement, Il faudra attendre le lendemain en espérant que les commerces du prochain village seront ouverts le dimanche. Sur les conseils d'un habitant nous poursuivons notre route sur le sentier archéologique pour trouver un champ accueillant où dresser nos tentes rapidement car l'averse menace.
4 septembre: Eyne – Estany Sec
Ce matin, tout est humide autour de nous. La réputation d'ensoleillement de la Cerdagne serait-elle usurpée? Quand je préparais cette traversée des Pyrénées j'avais évidemment envisagé que la météo nous jouerait quelques mauvais tours. Et il n'est évidemment pas possible d'attendre sur place le retour incertain du beau temps. Il faut donc plier la tente bien mouillée, protéger son sac et se mettre en route malgré la fine bruine qui commence à tomber. Cette étape se déroule essentiellement sur de petites routes et des pistes, donc la gêne causée par la pluie sera minime. Notre principale préoccupation est autre: il s'agit de savoir si nous trouverons du ravitaillement; c'est donc avec soulagement que nous apercevons une supérette ouverte à Bolquère. Les sacs bien remplis, nous reprenons notre cheminement sur une longue piste rectiligne et monotone au milieu de la forêt de pins sous un ciel sans couleur. La piste s'interrompt brutalement à proximité du lac des Bouillouses pour découvrir un décor de lacs glaciaires environnés de prairies et de blocs de granit. Quelques belles éclaircies nous incitent à poursuivre jusqu'au bord de l'Estany Sec, décor de rêve pour un bivouac. Mais les averses me laisseront à peine le temps de monter ma tente avant d'effacer brutalement le bleu du ciel. Je suis évidemment assez déçu de ne pas pouvoir profiter de ce superbe emplacement. La pluie ne laissera aucun répit dans la soirée m'empêchant même de faire chauffer mon repas; je me contenterai donc d'un modeste sandwich au jambon avant de m'endormir un peu inquiet sur l'évolution pour le lendemain.
5 septembre: Estany Sec – Cortal Rosso
La pluie a cessé dans la nuit et, au réveil, un brouillard diffus enveloppe les lacs. Mon premier souci est évidemment d'interroger le ciel mais il se montre réticent à répondre et laisse planer le doute sur l'évolution. Il faut alors parier pour choisir le bon itinéraire et on ne gagne pas à tous les coups... Aujourd'hui, le choix est entre traversée du Carlit ou contournement. Si le temps s'aggrave la traversée risque d'être compliquée et l'orientation délicate, mais le contournement rallongerait de manière importante l'itinéraire. Donc, nous parions sur le retour du beau temps et... nous gagnons. De fugitives éclaircies illuminent la montagne et les nuages déchirés par le vent ne cessent de se reformer tandis que nous nous rapprochons de la longue arête rocheuse qui défend le sommet. Mais, le vent finit par avoir le dessus et nous gravissons les derniers ressauts sous le soleil. Il reste ensuite à descendre le raide et impressionnant couloir d'éboulis et de pierrailles qui parcourt toute la face ouest: grâce à la pluie le terrain s'est ameubli et cette longue descente sera finalement plus aisée que la pente ne le laissait craindre. Le décor change au pied du couloir et nous découvrons un superbe panorama de ruisseaux et de lacs entourés de pelouses aux tons déjà mordorés. La journée est loin d'être finie car il faut encore remonter vers la portella de Lanos sous le chaud soleil de l'après midi. Au pied du col une vaste cuvette herbeuse bien ensoleillée où paissent quelques chevaux nous invite à installer le bivouac. Dans la soirée, les chevaux curieux viendront nous distraire avec le tintement de leurs cloches.